Une loi insipide, mélange de miel et de fiel…Un contenu hypocrite, réactionnaire et douceâtre
Les paroles s’envolent… mais les écrits…. ?
Les craintes que des intentions affichées pour une école efficace,
juste et ouverte débouchent sur un renforcement des inégalités
et de la ségrégation, sur une éducation formelle et autoritaire,
sur un cloisonnement et une fermeture se révèlent fondées.
Exit le débat, exit les quelques avancées vers une éducation
partagée, exit les travaux scientifiques sur les méthodes d’apprentissage,
exit les droits des élèves et des parents et vivent les cadenas
de toutes sortes, vive l’ancienne mode des corsets en tous genres.
Les élèves au piquet, les parents à la porte (
à l’extrême rigueur dans l’antichambre), les enseignants
sous surveillance….Méfiance, méfiance…
Ainsi le miroir est brisé…. La marâtre ministérielle
n’a pas voulu y voir le véritable reflet des problèmes et
des aspirations. Et tout ce qui pouvait être intéressant dans les
propositions de la commission Thélot passe à la trappe.
C’est bien d’une souris qu’accouchent et le « Grand
Débat » et le rapport de la commission….mais une souris perverse
et pernicieuse, petite bestiole gracile, d’allure insignifiante mais,
à terme rapide, insidieusement grignoteuse...
Petite bestiole insignifiante qui ne fait pousser les hauts cris ou monter sur
la chaise qu’à ceux agités par une peur irraisonnée
car ce n’est pas grand chose ou une petite chose fragile ; grignoteuse
car, au delà de cette insignifiance, sa faim et ses déambulations
peuvent ronger les fondements mêmes d’un service public d’éducation…
Elle peut même, au temps des manipulations génétiques, muter,
au choix des convictions politiques de chacun, en taupe ou termite….
Que sont devenues les ambitions affichées " d’une une école plus efficace, plus juste et plus ouverte" ?
Profil bas, telle est l’attitude adoptée par un ministre patelin, engoncé dans les certitudes immuables que donne l’approche technocratique et dogmatico-pragmatique, fondée sur la méconnaissance des réalités vécues par les élèves, les enseignants et les parents. Méconnaissance qui s’apparente au mépris de seigneurs d’en haut vis à vis de la piétaille ou de la populace que sont les parents et les jeunes dont on se méfie a priori.
Monsieur Fillon fait du sarkozysme à visage humain, maniant assez bien l’art du vaselinage et de la caresse dans le sens du poil, mais dans un même objectif de restauration et de soumission à l’ordre et l’autorité. Que l’on ne se méprenne pas, l’autorité est nécessaire et indispensable ; encore faut–il savoir à quoi elle correspond , comment elle s’exerce et quelle est sa légitimité. S’y référer, sans explicitation, ne peut que crisper et, surtout, ne viser qu’à la conformité à l’ordre préétabli ce qui est d’ailleurs contradictoire avec l’éducation et la formation d’une personnalité autonome.
Démagogique dénoncent les uns, trompeur clament les autres, trop timide et absence d’ambition critiquent les consensuels, manque de souffle regrettent ceux qui y croient encore… Tout cela est probablement vrai mais derrière la tactique doucereuse et mielleuse du discours, sous l’astuce d’une loi qui modifie (complète ou précise dit le ministre) le code de l’éducation, sans toucher frontalement à la loi de 1989, se cachent en fait des orientations profondes pour accentuer la crise de l’école. Et surtout se masque un lâche abandon de tout ce qui a fait l’évolution de l’instruction publique vers une pédagogie ambitieuse et son idéal libérateur ou émancipateur.
En effet rien ne vient affirmer l’engagement politique de tout faire pour que TOUS (pas seulement les plus « aptes » ou doués) puissent conquérir le savoir indispensable ; rien ne vient confirmer la volonté de redonner du sens aux apprentissages et d’ouvrir les possibilités de construire ce savoir selon ses rythmes, sauf à avancer le retour de l’autorité comme remède principal et ratiociner sur le travail et les efforts des « méritants ».
Rien ne vient donner du sérieux au socle commun dont on reprend le terme
en le vidant de son contenu et de son sens. En revanche, tout du long, on trouve
des petits cailloux qui, l’air de rien, viennent détourner le cours
des choses et placer les grains de sable pour gripper la machine. On supprime
ici un alinéa, là on en ajoute un autre, ailleurs on transfert
un article d’un titre à un autre. Vrai travail de prestidigitateur
visant à ce que les lanternes cachent les vessies… au risque de
se brûler, comme le disait un philosophe du quotidien au siècle
dernier.
Et puis, peut être faudrait il proposer à ce gouvernement friand
de fabrication de hochets la mise en place d’un Haut Comité à
la recherche des mots disparus tant sont nombreux les mots symboles passés
à pertes et profits ou relégués dans l’ombre : autonomie,
innovation, expérimentation, équipes, accompagnement, coopération,
éducabilité, initiative et même participation… Sur
un point rappelons que l’autonomie (celle de l’établissement
comme celle de l’élève, celle des équipes comme celle
de l’adulte) ne signifie ni indépendance ni n’importe quoi,
ni absence de contrôle ou d’exigence…au contraire.
Le meilleur exemple en sont les freins nouveaux mis à l’initiative
et l’autonomie, au travail d’équipe des jeunes comme des
enseignants non seulement par la suppression des TPE en terminale de lycée,
le détournement des Itinéraires de Découverte, le contrat
de réussite mais aussi avec la création d’un conseil pédagogique
et l’encadrement de la liberté pédagogique comme avec la
reprise en main de l’encadrement et de l’inspection au service non
de l’éducation mais des seules directives politiques du ministère
à appliquer comme de bons petits soldats, à nouveau « petits
ou grands chefs ».
Or, l’écoute attentive des propos ministériels, la lecture
des projets soumis à un simulacre de concertation, et leur décryptage
(pour répondre à l’influence médiatique) débouchent
sur trois constats :
1 – Le creux de la pensée, sous des phrases parfois bouffies de suffisance, par une enfilade de formules vides et de généralités sources d’ambiguïtés.
- « L’objectif de l’école est la réussite de
tous les élèves. La formation scolaire doit, sous l’autorité
des enseignants et avec l’appui des parents, permettre à chaque
élève de réaliser le travail nécessaire à
la mise en valeur de ses qualités personnelles et de ses aptitudes ainsi
qu’à l’acquisition des connaissances et de la culture générale
et technique qui seront utiles à la construction de sa personnalité,
à sa vie de citoyen et à la préparation de son parcours
professionnel »
- La définition « d’un ensemble de connaissances et de compétences
indispensables », qui se réduit à un nouveau catalogue disciplinaire
qui sera précisé par décret
- Le projet d’établissement qui « définit les objectifs
de la communauté éducative, précise les voies et moyens
qui sont mis en œuvre pour assurer la réussite de tous les élèves
et pour associer les parents à cet objectif. » sans indiquer qu’il
s’agit d’abord d’une dynamique et d’une démarche
d’association de tous (enseignants, parents, élèves, élus,
associations…) à un projet d’évolution et de transformation
des pratiques de l’établissement.
- Le règlement intérieur pour préciser « les droits
et les devoirs de chacun des membres de la communauté éducative
» et qui donne, sans en avoir l’air une définition restrictive
de la laïcité en termes de neutralité et de devoir (sic)
de tolérance.
Dans le même temps pas un mot sur ce qu’est la communauté
éducative, pas un mot sur les droits et la place des parents (autre que
d’être « associés » ou de rechercher leur «
appui »), pas un mot sur les associations pas plus que sur les représentants
des collectivités. Oui, je sais, il y a quelques allusions et même
(oh quelle hardiesse) un paragraphe dans le rapport annexe… mais ces allusions
et ces quelques phrases sont placées de telle manière qu’elle
apparaissent pour ce qu’elles sont : un moyen de se débarrasser
de la question, de signifier qu’elles sont plus que secondaires.
Bonjour l’ouverture, au revoir l’éducation partagée
!
2- Ensuite de véritables chausse- trappes si l’on ne débusque pas les conséquences
- Distribuer des aides selon les ressources et les mérites, à rapprocher de la « note de vie scolaire », qui vise la conformité à la norme tout en culpabilisant, et sanctionnant, ceux qui ne « réussiront » pas (par leur faute, évidemment…).
- Le contrôle autoritaire, astucieusement présenté sous l’étiquette liberté pédagogique, illustré par la composition du conseil pédagogique, les termes « sous l’autorité du chef d’établissement », sous le contrôle des corps d’inspection…
- Un Haut conseil de l’éducation, à l’image du CSA ( !) sans indépendance et dont la composition restrictive ne laisse place qu’à des personnalités choisies par les pouvoirs sans garantie de compétences et d’implication sociale… et qui ne donnera que des avis…
- Le diplôme national du brevet dont la formulation « prend en compte…les activités d’approfondissement et de diversification proposées aux élèves suivant leurs capacités et leurs intérêts » ouvre toutes les possibilités de sélection précoce et de filières ségrégatives
- Le conseil pédagogique « présidé par le chef d’établissement,
réunit des représentants des professeurs principaux de chaque
niveau.., des professeurs représentant chaque discipline et le coordonnateur
des TICE » qui établit, pour des questions pédagogiques
(notamment les pratiques) une représentation de type sénatorial
à deux degrés et vide de sens les équipes pédagogiques
déjà difficiles à constituer… D’ailleurs en
supprimant « les mots, sur proposition des équipes pédagogiques
« (article L.421-5) au profit des « mots, sur proposition du conseil
pédagogique » les intentions de reprise en main sont claires…
Bonjour les filets… au revoir l’initiative
3 - L’art de faire du vieux avec du neuf, ou prétendument tel…
Fondamentalement il n’y a rien de neuf sauf qu’à chaque
fois les avancées antérieures sont tordues pour les enserrer dans
l’autorité. Ainsi :
- du contrat individuel de réussite scolaire qui reprend le PPAP mais
en le vidant de la négociation avec les parents et l’élève
- du projet d’établissement confirmé mais cadré et
ouvertement limité à l’interne en évacuant le rôle
des parents et des élus
- des dispositifs de soutien qui, d’initiative locale adaptée,
deviennent une structure de 3 heures (ça ne vous rappelle rien ?)
- et du vrai neuf avec les groupes de niveau en langues vivantes….
- Et du neuf avec le contrôle continu ? Peut être.. aux calendes….
Ah comme les mânes d’E. Faure, J. Fontanet, C. Beullac, A. Savary
doivent frémir…
Que peut on en conclure ?
Du conservatisme certes, mais mâtiné de réaction au sens
strict de retour en arrière…
De la frilosité sans doute, mais à tonalité médecine
douce et soins palliatifs pour accompagner la fin de vie de l’école
publique….
Des silences ou presque sur la politique des projets d'établissement,
pas un mot sur le travail d’équipe, méfiance sur le rôle
et la place des parents, silence quasi total sur les autres acteurs éducatifs,
en particulier les associations et les collectivités territoriales.
Quant aux premiers intéressés, les élèves, ils ne
semblent pas exister pour le ministre (sauf à les considérer comme
des trublions ou des « sauvageons » sans doute) ce qui revient à
ignorer superbement la question cruciale de leur rapport au savoir !
Il y aurait encore beaucoup à dire sur les tonalités medefiennes qui parsèment le texte (et de prétendre que la formation scolaire doit préparer à l’emploi…et sélectionner précocement (orienter comme dit le ministre) alors qu’elle doit donner les clefs pour se former professionnellement et offrir toutes les passerelles possibles entre les formations) ou encore, sous prétexte de critiques justifiées sur la formation des enseignants, en faire une formation universitaire qui peut satisfaire l’élite cultureuse mais est loin des nécessités pédagogiques (c’est à dire du comment les enfants et les jeunes apprennent et… comprennent).
Avec ce projet n’est -on pas bien loin des enjeux de cohésion
sociale et de la double nécessité de permettre à tous d’accéder
aux savoirs pour être, agir et penser, pour être autonome et participer
de la vie collective ?
N’est on pas, aussi, très loin de préparer les jeunes à
pouvoir bénéficier d’une éducation tout au long de
la vie et en capacité de s’adapter ?
Il est vrai que telles ne sont probablement pas les intentions ministérielles
et gouvernementales si l’on en juge par le rapprochement de deux déclarations…
très claires :
- « Je crois à la main invisible du marché… Par exemple
je suis pour une privatisation totale de l’Education nationale. »
(Emmanuelle Mignon, conseillère de Sarkozy)
- « ..bien évaluer les implications d’une réforme
qui, dans quelques années, aura changé le visage de l’école
» (François Fillon, cité par E. Davidenkoff)
Mais le plus significatif n’est-il pas dans les silences comme dans le véritable coup de torchon que sont les « disparitions » des textes antérieurs ?
Deux exemples :
- l’article suivant (L122-1) :
« Le droit de l'enfant à l'instruction a pour objet de lui garantir,
d'une part, l'acquisition des instruments fondamentaux du savoir, des connaissances
de base, des éléments de la culture générale et,
selon les choix, de la formation professionnelle et technique et, d'autre part,
l'éducation lui permettant de développer sa personnalité,
d'élever son niveau de formation initiale et continue, de s'insérer
dans la vie sociale et professionnelle et d'exercer sa citoyenneté. Cette
instruction obligatoire est assurée prioritairement dans les établissements
d'enseignement. »
…est remplacé par (L131-1-1)
« L’objectif de l’école est la réussite de tous
les élèves. La formation scolaire doit, sous l’autorité
des enseignants et avec l’appui des parents, permettre à chaque
élève de réaliser le travail nécessaire tant à
la mise en valeur de ses qualités personnelles et de ses aptitude qu’à
l’acquisition des connaissances et de la culture générale
et technique qui seront utiles à la construction de sa personnalité,
à sa vie de citoyen et à la préparation de son parcours
professionnel »
- l’article 421-5 :
« Les collèges, les lycées d'enseignement général
et technologique et les lycées professionnels élaborent un projet
d'établissement. Celui-ci définit les modalités particulières
de mise en oeuvre des objectifs et des programmes nationaux. Il précise
les activités scolaires et périscolaires prévues à
cette fin. Il fait l'objet d'une évaluation. Il indique également
les moyens particuliers mis en oeuvre pour prendre en charge les élèves
issus des familles les plus défavorisées. Les membres de la communauté
éducative sont associés à l'élaboration du projet
qui est adopté par le conseil d'administration, qui statue sur proposition
des équipes pédagogiques pour ce qui concerne la partie pédagogique
du projet. »
… est « légèrement » modifié pour faire
disparaître la référence à l’initiative des
équipes….
En deux articles trois références symboliques et claires passent aux oubliettes : les droits de l’enfant (notamment à l’instruction), l’exercice prioritaire de ce droit dans les établissements, le travail en équipe….Ce qui est, tout simplement, un abandon de principes fondamentaux.. et de garanties concernant le rôle d’une institution de la République !
Ce qui se profile avec les projets Fillon est tout simple :
- laisser l’école s’enfoncer dans la crise et ne rien faire
pour empêcher le développement des inégalités et
de la fracture sociale
- éviter à tout prix de situer l’enjeu social de l’acquisition
des savoirs par tous et donc de sortir l’école de son splendide
isolement en maintenant son opacité pour tous ceux qui ne possédent
pas un certain « capital culturel »
- ouvrir grandes les portes au marché pour combler le vide et les insuffisances
d’un service public et d’une institution que l’on n’aide
pas à se transformer
Bref une loi dont la cohérence réside dans les silences, les absences, et la reprise en mains autoritaire d’un côté et les grains de sable semés ici ou là pour démontrer l’incapacité du système à répondre aux attentes de son public. Qui veut noyer son chien…
Tiens pour « tester » les bonnes ou mauvaises intentions du ministre et de ses acolytes anonymes si proposition était faite de :
- placer en article premier de l’ensemble du code le texte suivant : « L’Ecole est au premier chef le lieu d’acquisition et de transmission des valeurs que la société partage ; l’instrument par excellence d’enracinement de l’idée républicaine. L’espace où l’on forme les citoyens de demain à la critique, au dialogue, à la liberté. Où leur sont donné les clefs pour s’épanouir et maîtriser leur destin. Où chacun se voit ouvrir un horizon plus large » (1)
- d’inscrire en les généralisant les missions figurant
dans la loi sur l’enseignement… agricole : les établissements
(outre qu’ils assurent leur première mission de formation initiale
de base donnant accès à une formation générale,
technologique et professionnelle initiale) :
o participent à l'animation culturelle et au développement local
o contribuent à l'insertion scolaire des jeunes, sociale et professionnelle
de ces derniers et des adultes
o participent et organisent des activités de développement, d'expérimentation
et de recherche appliquée ainsi que des actions de coopération
internationale, notamment en favorisant les échanges et l'accueil d'élèves,
apprentis, étudiants, stagiaires et enseignants. (2)
- de reprendre et mettre plus en valeur les articles suivants du code (3)
- Tout enfant a droit à une formation scolaire qui, complétant
l'action de sa famille, concourt à son éducation.
- La formation scolaire favorise l'épanouissement de l'enfant, lui permet
d'acquérir une culture, le prépare à la vie professionnelle
et à l'exercice de ses responsabilités d'homme et de citoyen.
Elle constitue la base de l'éducation permanente. Les familles sont associées
à l'accomplissement de ces missions.
- Pour favoriser l'égalité des chances, des dispositions appropriées
rendent possible l'accès de chacun, en fonction de ses aptitudes, aux
différents types ou niveaux de la formation scolaire.
- L'Etat garantit le respect de la personnalité de l'enfant et de l'action
éducative des familles.
- de conserver les articles L 122-1 et 421-5, quitte à y mentionner le conseil pédagogique
Quatre suggestions se situant dans la continuité tout en ouvrant davantage
de possibilités en termes d’efficacité et d’intégration
de l’école dans la société….
Chiche… ??
(1) Déclaration du Président de la République, citée
dans le rapport annexe
(2) Article L 341-1 du code l’éducation
(3) Articles 111-2 et 111-3
[© JC. Guérin 06/XII/04]
(militant associatif, ancien chargé de mission et animateur du Conseil
National de l’Innovation)
(*) Ou encore le Fillon nouveau pire que le beaujolais : un crû frelaté
qui sent déjà le vinaigre